Un enfant qui pense vite et écrit mal : ce qui se joue lorsqu’on lui donne enfin un cadre
- Institut Saint esprit
- 7 déc.
- 6 min de lecture
On croise souvent, à l’école comme à la maison, un certain type d’enfant :l’esprit vif, la parole aisée, beaucoup d’idées, des fulgurances… et des cahiers de français presque illisibles.
En classe, il répond volontiers à l’oral, comprend vite, devine parfois les réponses avant la fin de la question. Sur la copie, en revanche, c’est une autre histoire : phrases bancales, accords oubliés, ponctuation aléatoire, rédaction expédiée. Les enseignants notent : “Peut beaucoup mieux faire”, “Travail peu soigné”, “Résultats en-dessous des capacités”.
Cet écart entre ce qu’il comprend et ce qu’il parvient à formuler par écrit finit, tôt ou tard, par peser sur lui.
Imaginons un enfant de cette nature, vers 11–12 ans. Et regardons, sans emphase, ce que peut produire, à court, moyen et long terme, un travail de français manuscrit, structuré et suivi.
Au départ : un décalage discret mais profond
Au début, cet enfant ne se pense pas “mauvais” en français.Il a même l’impression inverse : il comprend les textes, suit les explications, participe en classe. On lui dit qu’il est “intelligent”, qu’il a “du potentiel”.
Ce qui lui échappe, c’est que son écriture ne suit pas :
il écrit vite, comme il parle, sans véritable construction de la phrase ;
il ne relit presque jamais, persuadé d’avoir “compris” l’exercice ;
il vit la correction comme un jugement extérieur, parfois injuste, rarement comme un lieu de travail.
Les notes se maintiennent encore, mais déjà certaines remarques apparaissent : rédaction “confuse”, “trop courte”, “manque de rigueur”, consignes mal tenues. On commence à lui reprocher non plus ce qu’il ignore, mais ce qu’il “néglige”.
Lui, de son côté, sent confusément qu’il n’habite pas l’écrit comme il pourrait le faire. Il se contente de survivre dans la matière, avec le sentiment diffus d’être en dessous de ce dont on le croit capable.
Les premières semaines : l’épreuve de la régularité
Lorsqu’il entre dans un cadre comme celui du Polymathe, le premier choc n’est pas le niveau des textes, mais la stabilité du rythme.
Chaque mois apporte :
des dictées à partir de textes denses ;
des exercices de grammaire qui reviennent, semaine après semaine, sur les mêmes points ;
des rédactions à mener jusqu’au bout.
Pour lui, habitué à “s’en tirer” avec des efforts ponctuels, c’est une expérience nouvelle :
il comprend vite les consignes, comme toujours, mais découvre que cela ne suffit pas ;
il se heurte à la résistance du manuscrit : les fautes restent, la page garde trace de sa précipitation ;
il doit terminer ce qui est demandé, même lorsque l’inspiration n’est pas au rendez-vous.
Sur le très court terme, cela produit une forme de fatigue, parfois de résistance. Il mesure, presque physiquement, la distance entre sa pensée rapide et sa phrase réelle. Cette distance, jusque-là dissimulée derrière de “bonnes intentions”, devient visible.
Au bout de quelques mois : la phrase commence à se tenir
Progressivement, quelque chose se déplace.
À force de recopier des phrases bien construites, de reprendre les mêmes erreurs, de voir les mêmes remarques revenir dans la marge, il commence à anticiper certaines fautes :
il s’arrête une fraction de seconde avant un accord hasardeux ;
il allège une phrase trop longue, parce qu’il sent confusément qu’elle “ne passera pas” telle quelle ;
il relit – pas toujours, pas parfaitement, mais davantage qu’auparavant.
Les corrections détaillées jouent ici un rôle silencieux. Elles ne se contentent pas de sanctionner ; elles dessinent pour lui un portrait de ses habitudes : là où il se précipite, là où il lâche la phrase, là où il trahit la consigne.
Sans qu’on lui promette de “révolution”, il constate, parfois sur un détail :
une dictée mieux réussie que prévu ;
une rédaction où il a réussi à aller au bout de l’histoire ;
un exercice de grammaire corrigé plus proprement que d’habitude.
Rien d’exceptionnel, mais, pour la première fois, l’idée que son écriture puisse progresser devient concrète.
La fin de la première année : un autre rapport au français
Au terme d’une année complète, le changement ne tient pas en un “avant/après” spectaculaire. Il se lit plutôt dans une série de glissements accumulés.
Dans les cahiers, on voit :
des phrases plus courtes, mieux ponctuées ;
une baisse nette de certaines fautes récurrentes ;
des rédactions plus longues, mieux menées.
À l’école, les remarques évoluent : les enseignants parlent moins de “potentiel gâché” et davantage de “progrès sérieux”, de “travail plus régulier”. La moyenne générale ne bondit pas nécessairement de dix points, mais le français cesse d’être cette matière à la fois “brillante” à l’oral et fragile à l’écrit.
Surtout, l’enfant a intériorisé quelques habitudes :
il ne donne plus spontanément un texte sans un minimum de relecture ;
il accepte que la qualité d’un devoir ne se joue pas seulement dans l’idée, mais dans la manière de la porter jusqu’au bout de la phrase ;
il commence à voir ses propres textes comme des objets qu’il peut améliorer.
Ce n’est pas encore une maîtrise, mais déjà une forme de prise de responsabilité.
Quelques années plus tard : la différence se creuse discrètement
Au collège, puis au lycée, les exigences changent de forme. La langue reste, elle, le passage obligé de presque tout :
commentaire de texte, rédaction longue, dissertation, rapport, exposé écrit ;
questionnaires écrits dans d’autres matières, où l’on attend de lui des réponses rédigées, non des fragments.
À ce stade, on voit se creuser l’écart entre ceux qui ont travaillé la langue en profondeur et ceux qui, jusque-là, avaient réussi à contourner les exigences de l’écrit.
Pour notre enfant, le travail accompli plus tôt produit plusieurs effets :
il comprend plus vite les consignes, parce qu’il a l’habitude de les lire attentivement ;
il sait structurer une réponse en quelques phrases tenues, au lieu d’empiler des morceaux de phrases inachevées ;
il ne se laisse plus paralyser par la longueur annoncée d’un devoir : il sait par expérience que le texte se construit phrase après phrase.
Là où d’autres, parfois aussi intelligents que lui, se retrouvent en difficulté, lui dispose d’un socle opérationnel : il sait écrire quand il le faut. Cela ne garantit pas une excellence uniforme, mais lui évite les effondrements soudains que connaissent tant d’élèves lorsqu’on passe de l’exercice à la rédaction, puis au devoir long.
À l’âge adulte : une aisance qui ne fait pas de bruit, mais qui pèse
Arrivé dans la vie professionnelle, il entre dans un monde où l’on ne corrige plus ses textes comme à l’école.Les mails, rapports, notes, comptes rendus, candidatures qu’il rédige ne sont plus notés ni annotés ; ils circulent, ou non. Ils ouvrent des portes, ou non. Ils inspirent confiance, ou laissent une impression confuse.
Pour lui, l’écrit n’est plus cette zone grise où il se sent “sur le fil”. Il sait :
relire une page importante avant de l’envoyer ;
ajuster une formule trop lourde, un paragraphe mal construit ;
repérer, au fil de la lecture, ce qui affaiblit un texte.
Cette aisance ne fait pas de lui un écrivain, mais elle lui évite une forme de vulnérabilité silencieuse : celle de l’adulte qui sait ce qu’il pense, mais ne parvient jamais vraiment à le dire par écrit sans appréhension.
À l’inverse, ce qu’il a appris à faire dans ses cahiers, adolescent – voir ce qu’il écrit, le reprendre, le clarifier – devient une compétence transférable. Il peut l’appliquer à un mail à envoyer à un supérieur, à un document à rendre, à un projet qu’il souhaite défendre.
Ce qui s’est réellement construit en chemin
Si l’on regarde en arrière, on pourrait être tenté de résumer la transformation à un gain de “niveau en français”. Mais ce serait manquer l’essentiel.
Ce qui s’est construit, progressivement :
une habitude de travail : venir à bout d’une tâche écrite, même peu inspirante ;
une responsabilité vis-à-vis de la langue : ne plus la traiter comme un simple véhicule approximatif ;
une confiance sobre : il ne s’agit pas de se croire brillant, mais de savoir que l’on peut faire face.
Les dictées, les exercices, les rédactions, mois après mois, n’ont pas seulement produit des copies corrigées. Ils ont façonné une manière de se tenir dans la langue :ni écrasé par elle, ni dans le mépris, mais dans un rapport lucide et maîtrisé.
Ce que les parents décident, sans toujours le formuler ainsi
Lorsqu’ils choisissent de placer un enfant de ce type dans un travail de français manuscrit, structuré, suivi, les parents ne cherchent pas nécessairement à en faire un “premier de la classe” ou un spécialiste des lettres.
Ils posent un geste plus simple, mais plus profond : ils refusent de laisser s’installer, entre l’intelligence de leur enfant et sa manière d’écrire, un écart qui, avec le temps, deviendrait une gêne permanente.
Ce que le programme lui offre, ce n’est pas un vernis supplémentaire, mais un alignement : peu à peu, ce qu’il pense et ce qu’il écrit cessent de diverger. Sa phrase commence à ressembler à sa pensée.
Ce déplacement, discret à court terme, finit, quelques années plus tard, par faire la différence entre un adulte qui se censure par crainte de mal écrire, et un adulte qui sait qu’il peut, lorsque la situation l’exige, prendre la parole par écrit sans se disqualifier lui-même.
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